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19/04/2017

La transition énergétique, un tremplin pour la France?

Le présent document synthétise les propositions de l’auteur dans le cadre du débat national sur la transition énergétique. Il sera décliné par thématique, 12 propositions concrètes contribuant à un avenir souhaitable pour le paysage énergétique français. Bien qu’il s’agisse d’un débat national, il sera réalisé, pour chaque thématique, un bref bilan contextuel à l’échelon international.

Ce cahier de participation n’a pas pour vocation d’être exhaustif, mais il apporte, à son échelle, des pistes prioritaires à l’élaboration d’une politique énergétique ambitieuse.   L’importance qu’à l’énergie dans le développement de nos sociétés nous impose le changement.   Dans « Le temps des crises », Michel Serres défini comment mesurer  la nouveauté d’un évènement : « Elle est proportionnelle à la longueur de l’ère précédente que cet évènement clos». Nous sommes actuellement face à deux nouveautés :  
  • Nous sortons de l’ère de l’énergie bon marché et accessible, 
  • Nous prenons également conscience de l’impact environnemental et socio-économique des usages de l’énergie (Fukushima, changements climatiques, tensions géopolitiques,…).
Nous avons à nous préoccuper de ces deux évènements majeurs et inédits, qui achèvent une période de plus deux siècles. Il sera abordé dans un premier temps les avancées à réaliser en matière d’appropriation des enjeux énergétique par les citoyens français, étape indispensable du succès de la transition. Dans un second temps, seront présentés les grands travaux à réaliser à court et moyen terme, comme par exemple la rénovation énergétique des bâtiments, le développement des énergies renouvelables, le développement des voies de transports alternatifs,… Il sera finalement préconisé des pistes prioritaires en matière de nouvelles technologies et de recherche, indispensable au développement d’un tissu économique d’avenir.

1/ L’appropriation des enjeux par les citoyens, clé de voute de la transition énergétique

Nul changement ne s’est jamais accompagné d’une appropriation massive des enjeux par les civilisations. Des tentatives locales d’appropriation ont vu le jour dans les années 2000, à l’échelle de quartiers, de villes ou de régions, inspirés des mouvements tel que les « villes en transition (1) » ou d’organismes de recherche comme le « Oil Depletion Analysis Centre » (2) au Royaume-Uni ou le « Post Carbon Institut » (3) aux Etats-Unis. Ces expériences, riches et transposables, ont démontré la possibilité d’une transition à grande échelle. D’une manière générale, la conduite du changement, qu’il soit interne ou externe (les deux dans le cadre de la transition énergétique), doit faire face aux réactions les plus diverses et potentiellement antagonistes par un petit nombre (phobie du changement, conservatisme, fanatisme), bien que globalement bien accepté par la plupart. Le défi sera premièrement d’enclencher l’initiation du changement, mais par quel bras de levier ? Les axes proposés à mettre en place à court terme, mai durablement sont les suivants :
  • Réalisation d’une campagne de communication nationale basée sur une campagne publicitaire suggestive aux heures de grande écoute (TV, web, radio,…), déclinée en phases didactiques inscrite sur une période longue. L’objectif étant que chaque citoyen se questionne et sache « pourquoi nous devons faire tout cela ?», il s’agit d’une forme de « remise à niveau » généralisée sur les questions de l’énergie.
  • Parallèlement, mais sur le long terme, les questions d’énergie devront être intégrées dans tous les cursus scolaires (aux cours d’instruction civique et morale dès le plus jeune âge, ainsi qu’aux cours d’Histoire-Géographie par exemple). Chaque élève devra avoir les bases nécessaires à la réflexion sur la thématique, afin de comprendre le contexte et de faire ses propres choix en conséquence.
  • Densifier et élargir le champ de compétence à l’échelon local de structures spécialisées et de personnes ressources dans le conseil et l’accompagnement sur l’utilisation de l’énergie (Espace Info Energie, Agence locale de l’énergie,  Conseil en énergie Partagé,…). Leur indépendance est primordiale afin que l’action soit crédible, reconnue et sans conflits d’intérêts.
  • Enfin, afin que les enjeux de l’énergie ne restent pas théoriques, un plan de développement des actions locales citoyennes de fédération et d’investissement dans les systèmes énergétiques sobres en carbone (énergies renouvelables et maitrise de l’énergie) sera mis en place : chaque citoyen doit avoir l’opportunité d’investir collectivement dans les systèmes énergétiques locaux (Réseaux de chaleur, éoliennes, campagne d’isolation par exemple).

2/ Pas de grands changements sans grands travaux

L’organisation de la société française n’est pas adaptée au défi de la transition énergétique. Elle est structurée sur les bases d’une énergie peu chère et abondante, et totalement neutre pour l’environnement. Il s’agira de développer un « Nouvel Urbanisme » fortement lié à la « Nouvelle Ruralité » en rupture avec ces notions d’opulence, favorisant la sobriété énergétique, les ressources locales et la mobilité douce. Des initiatives de ce type sont développées avec succès en Europe et dans le Monde, comme notamment BedZed (Zero Energy Development) au Royaume-Uni (4) ou la ZAC de Bonne à Grenoble (5). Et ceci ne va pas sans une réflexion profonde sur les modes de déplacements des biens et des personnes, ainsi que sur les modes de production des produits de consommation.   De grands travaux sont nécessaires dans ce cadre, et doivent impérativement être lancés à court terme :
  • En priorité, accélérer les rénovations énergétiques des bâtiments à l’échelle nationale. Les gains sont les plus évidents en termes d’emplois, de réduction des consommations d’énergie et de limitation de la précarité énergétique. Cette proposition, largement reprise par de nombreux groupes, organismes et/ou consultants, fait consensus, et ne sera pas développée ici (6),(7),(10),(25).
  • Parallèlement, massifier les investissements en matière de production d’énergies renouvelables, et notamment la biomasse, l’éolien, la géothermie et le solaire thermique (7),(8),(25). De la même manière que le point précédent, cette proposition fait également consensus, et ne sera pas développée ici.
  • Développer les réseaux de chaleur, ce qui limiterait les investissements pour réduire la facture énergétique et les émissions de gaz à effet de serre (8). La majeure partie des réseaux français peuvent être alimentés par de la biomasse et être développés à plus grande échelle. L’efficacité d’un réseau est un atout pour limiter les consommations d’énergie et favoriser l’indépendance énergétique du pays.
  • Repenser les réseaux et les modes de transport en favorisant la mobilité alternative des biens et des personnes. Les faibles coûts de la mobilité des biens a incité et incite encore des dépenses d’énergie qui pourraient être évitées. La structuration, le développement et l’optimisation des voies et des réseaux du fret maritime, fluvial et ferroviaire équilibrerait la concurrence du transport routier et aérien, beaucoup plus gourmands en énergie. Le transport des personnes pourrait être favorisé en réduisant les coûts des transports en commun (réduction du coût des transports à moins de 1 € par jour, ce qui limiterai également les charges des entreprises qui financent à 50 % les transports collectifs de leurs salariés),  en densifiant les réseaux, en augmentant la fréquence des horaires.
  • Réindustrialiser la France sur la base d’une économie circulaire associée à l’industrie de pointe. Au cœur du redressement productif se situent les industries innovantes, à la pointe des nouvelles technologies, qui seront d’autant plus productives qu’elles feront la course en tête. L’économie circulaire - les déchets des uns sont les matières premières des autres – soutenue en France par l’Institut de l’Economie Circulaire (9), sera le levier de croissance de l’industrie de demain, et sera le moteur d’exportation de savoir-faire.  

3/ Les nouvelles technologies, relais de croissance de l’économie verte

La France possède les structures, les ressources et l’envergure nécessaire pour favoriser l’essor les nouvelles technologies vertes, mais elle ne se donne pas les moyens de ses capacités. Il est impensable d’entrer en transition sans accélérer drastiquement les efforts de recherche et développement en la matière. Les dépenses en RetD de l’Allemagne (et des Etats-Unis) sont de 2,8 % du PIB en 2011, contre 2,2 % du PIB en France, soit un écart colossal de 40 milliards d’euros.   Il est ici proposé de démultiplier les efforts d’investissement de deux filières d’avenir, l’une à l’état de développement embryonnaire (la captation, le transport et séquestration du CO2) et la seconde à peine émergente (les véhicules hybrides et électrique). Une troisième proposition vise à éteindre la flamme du développement d’une filière mort-née (exploitation des gaz et pétroles nonconventionnels).
  • Les sources fixes et concentrées de CO2 (industrie sidérurgique, centrales électriques, cimenteries,…) représentent 1/3 des émissions anthropiques, avec environ 8000 sites qui émettent plus de 100 000 tonnes par an (11). La captation -transport – séquestration du CO2 (CSC) est une solution pour limiter une partie des émissions de gaz à effet de serre en enfouissant ce gaz pour une longue période. Le budget CSC en RetD de la France en 2007 était à peine de 28 millions d’euros (11), alors que le budget du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) est de 4,7 milliards d’euros…. Le retard pris en la matière est abyssal : le seul nouveau projet européen en lice vient de retirer sa candidature (ULCOS) (12). La France ne doit pas rater cette opportunité, car il s’agit là de l’occasion de créer un géant de la technologie CSC, générateur de croissance, d’exportations et d’emplois. Les moyens pour y parvenir sont proposés : 1/ créer un programme de recherche et développement similaire, en ampleur, à un projet spatial (1,8 milliards d’euros en 2011) ou au développement du nucléaire civil, pour aboutir à la commercialisation d’unités de CSC en France comme à l’étranger, ce qui passera par 2/ multiplier le nombre d’installations pilotes, et 3/ Attirer les talents du monde entier sur des programmes de recherche d’intérêt, et 4/ Limiter le nombre d’acteurs aux intérêts divergents.
  • Le 1er octobre 2009, le Ministère du Développement Durable a présenté un plan national pour le développement des véhicules électriques et hybrides (24). S’agissant d’un premier pas vers le lancement de ces technologies, il est maintenant nécessaire d’accélérer le développement de la filière en 1/ Mettre en place les infrastructures (encore trop rares) permettant la recharge des véhicules. 2/ Inciter la recherche et le développement auprès des constructeurs et des instituts de recherche afin d’améliorer l’autonomie des véhicules. 3/ favoriser la diversification de l’offre en matière de véhicules particuliers.
  • Suscitant des débats passionnés, les gaz et pétroles non conventionnels (ou hydrocarbure non conventionnels, HNC) sont vus par certains comme une opportunité de baisser à court terme les coûts de l’énergie (gaz et électricité), de créer des emplois et ce à moindre coût environnemental (13). Cependant, l’exploration et l’exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels sont interdites en France depuis le 13 juillet 2011, au nom du principe de précaution. L’auteur propose d’étendre cette interdiction pour une durée illimitée, et ce pour les raisons suivantes : 1/ La France n’a pas besoin de cette ressource pour réussir sa transition énergétique. D’autres voies sont possibles, avec des technologies existantes, également créatrices d’emplois, et moins polluantes que les HNC (1),(3),(6),(8),(9),(25). 2/ Le coût environnemental local est très élevé (pollution des nappes d’eau, pollution de l’air, traitement des eaux contaminées par les adjuvants, microséismes,…) et peu maitrisé (14),(15),(16). 3/ L’acceptabilité par la population est faible, deux français sur trois sont contre l’exploitation des HNC (17). 4/ Les émissions de gaz à effet de serre liés à l’usage des HNC sont très élevées quelles que soient les techniques employées. Pour les gaz de schiste en particulier, les fuites de méthane (entre 3 % et 9 % selon les auteurs), 25 fois plus « réchauffant » que le CO2, positionne les émissions de GES de cette énergie parmi les derniers de la classe : au niveau du fioul pour certains, pire que le charbon pour d’autres (18),(19),(20),(21),(22),(23).

Conclusion

La transition énergétique est l’affaire de tous. Il s’agit d’une opportunité unique de relancer l’économie française tout en prenant le leadership européen en matière d’autonomie énergétique et de sécurité des approvisionnements. Les pistes proposées pour y parvenir seront génératrices d’emplois, de progrès social, tout en limitant l’impact des usages de l’énergie sur l’environnement :
  • Par l’appropriation des enjeux par l’ensemble des français,
  • Par la mise en place d’une politique volontariste de grands travaux, - Par le développement de nouvelles technologies.
Auteur : Bastien Faure-Brac, gérant et fondateur du cabinet conseil AEC

Bibliographie

  • (1) Rob Hopkins, Energy Descent Pathways: evaluating potential responses to Peak Oil. 2006.
  • (2) ODAC, Oil Depletion Analysis Centre. www.odac-info.org/welcome.
  • (3) Post Carbon Institut. www.postcarbon.org.
  • (4) BedZed, Zero Energy Development. Zed Factory. www.zedfactory.com/zed/
  • (5) ZAC de Bonne, Grenoble. www.debonne-grenoble.fr
  • (6) Association Négawatt. Scénario Négawatt 2011. www.negawatt.org/scenarionegawatt-2011-p46.html
  • (7) Association Négawatt. Emplois et économie. 2013. www.negawatt.org/etude-emploiseconomie-p120.html
  • (8) Henri Prévot . Ingénieur général des Mines. Les réseaux de Chaleur. 2006. www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000732/0000.pdf
  • (9) Institut de l’économie Circulaire. www.institut-economie-circulaire.fr
  • (10)  Trajectoires 2020-2050, Vers une économie sobre en carbone. Rapport du Comité présidé par Christian de Perthuis. 2011.
  • (11)  Captage – Transport et Stockage du CO2 – ADEME. 2011. www2.ademe.fr/servlet/KBaseShow
  • (12)  Site internet du projet ULCOS. www.ulcos.org/fr/
  • (13) M Lenoir (sénateur)et Bataille (député). Techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste. Juin 2013.
  • (14)  Nafeez Mosaddeq Ahmed. Gaz de schiste, la grande escroquerie. Le Monde Diplomatique. Mars 2013.
  • (15)  Institut National de santé publique du Québec, État des connaissances sur la relation entre les activités liées au gaz de schiste et la santé publique. Novembre 2010.
  • (16)  Geneviève De Lacour, Agriculture contre gaz de schiste : la nouvelle guerre de l’eau ? Journal de l'environnement. 24 août 2012.
  • (17) Sondage Harris Interactive, publié le 12 juin 2013.
  • (18)  Jeff Toleson. Methane leaks erode green credentials of natural gas. Janvier 2013.
  • (19)  Methane and the greenhouse-gas footprint of natural gas from shale formations , Howarth, Santoro, Ingraffea (Cornell University), avril 2011, Climatic Change (2011) 106:679–690 DOI 10.1007/s10584-011-0061-5
  • (20)  Venting and leaking of methane from shale gas development: response to Cathles et al. », Howarth, Santoro, Ingraffea (Cornell University), janvier 2012, Climatic Change DOI 10.1007/s10584-012-0401-0 / 
  • (21) Methane Emissions from Natural Gas Systems, Howarth, Santoro, Ingraffea (Cornell University),Shindell (Nasa), Phillips (Boston University), Townsend-Small (University of Cincinnati), février 2012, National Climate Assessment reference number 2011-0003 / 
  • (22)  A commentary on “The greenhouse- gas footprint of natural gas in shale formations“ by R.W. Howarth, R. Santoro, and Anthony Ingraffea », Cathles, Brown, Hunter (Cornell University), Taam (Electric Software), octobre 2011, Climatic Change DOI 10.1007/s10584011-0333-0
  • (23)  Communiqué de presse : « Response to Howarth et al’s Reply », Cathles, Brown, Hunter (Cornell University), Taam (Electric Software), février 2012.
  • (24)  Site du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. http://www.developpement-durable.gouv.fr/Le-plan-vehicules-electriques-et26806.html
  • (25)  Contribution de l'ADEME à l'élaboration de visions énergétiques 2030-2050. www2.ademe.fr/servlet/getDoc;